La neige.
Elle tombe et le monde semble s’envelopper de silence. Elle transforme les routes, les industries et les paysages. Les livres d’histoires racontent qu’elle était attendue par les enfants à Noël. Le froid les obligeait à s’emmitoufler, à profiter des attentions de leurs parents bien aimés. La neige charriait les plus belles histoires enfantines.

En l’an 2373, la neige est une tueuse de masse.

L’humanité n’a jamais connu un tel bouleversement. Si, en 2100, le réchauffement climatique a poussé de nombreuses personnes à vivre dans les régions polaires, à partir de 2280, la neige nous rappela toutes les émissions nocives que nous avions rejetées dans notre atmosphère. Les premières « tueuses » se sont produites en Terre Adélie. Une averse de neige a décimé les mineurs d’une mine de charbon à ciel ouvert. 2 000 morts, de nombreuses familles endeuillées et une incompréhension totale. Était-ce dû à un virus inconnu prisonnier dans une cavité préhistorique ? Personne ne se doutait que cette si belle et douce dame blanche serait une génocidaire en puissance.

Au réchauffement climatique des centenaires 2000 et 2100 se succède à partir de 2300 une des pires époque glaciaire que l’humanité ait connu. La glace et la neige recouvrent la totalité de l’Europe et les neiges du Kilimandjaro, autrefois mythiques, descendent jusqu’aux plaines.

Il est 6 heures aujourd’hui. Il fait -80°C dehors. Heureusement que nos panneaux solaires sont toujours en fonctionnement. Malgré le froid, notre système auto-suffisant nous permet une autonomie d’énergie non négligeable. Nous avons emménagé à côté de Smara. Sa banlieue agréable nous a permis de trouver rapidement du travail. Nous habitons dans le quartier de l’ancienne base militaire souterraine marocaine. Notre fils joue dans l’équipe de football locale et il a de bonnes notes à l’école. On nous susurre même à l’oreille qu’il pourrait un jour faire partie des « explorateurs ». Ses capacités sont étonnantes pour un jeune garçon de 13 ans.

Je travaille à la maintenance dans une usine de recyclage. Les vieilles machines sont usées par le temps, les pièces de rechange sont recréées par les imprimantes 3D. Heureusement que notre IA ne nous a pas laissé tombé malgré ses nombreuses mises en garde sur notre survie dans ce monde hostile. Elle a tenu, et nous avec elle. L’IA est notre gestionnaire de ville. Grâce à elle, nous savons optimiser nos ressources. Refaire les routes, les circuits d’assainissement des eaux, la maintenance des panneaux solaires, toutes ces tâches qui incomberaient à des choix politiques désastreux pour les hommes s’ils se mettaient à y disputer un quelconque pouvoir politique. L’IA nous conseille, nous avise sur les conditions extérieures. Ses avis de tempêtes sont toujours mesurés et précis, nous avons une totale confiance en elle. De toutes façons, si notre IA ne nous a pas laissé tombé, c’est qu’elle trouve que notre survie est possible ensemble.

Dans notre histoire, les IA n’ont pas toujours été nos meilleures amies. La ville de Madrid au début de la crise des « tueuses », vers 2330, a été abandonnée par son IA et cela causa de nombreuses victimes incapables de se mettre en sécurité devant le danger. L’IA a estimé que sa survie était en cause, elle a préféré partir, et laisser la population à son triste sort. L’instinct de survie de l’IA est un atout dans les situations de crise, car elle permet que tout soit mis en œuvre pour que les communautés soient préservées. Mais, si la survie de l’IA est en cause, cet instinct de survie se traduit par un abandon pur et simple de sa communauté.

Nous avons développé avec notre IA une relation sentimentale. Nous espérons qu’elle aura un peu de scrupules à nous abandonner comme cela. Tous les ans, une fête en l’honneur de notre IA est organisée. Nous pensons que notre reconnaissance est nécessaire afin de sensibiliser notre IA à nos familles, nos quotidiens, nos vies.

Ma femme est professeur. Elle enseigne l’histoire au lycée de la ville. Nos discussions sur le passé de notre monde sont passionnantes. Les choix des humains sont sans cesse époustouflants ; parfois teintés de pire bêtise, ou d’une incommensurable intelligence. J’espère que tout cela ne s’arrêtera pas. Tous les jours ma femme doit traverser la ville pour aller à son travail. Alors quand nous avions appris qu’un tunnel avait été endommagé et laissait passer des fuites de neige nous étions inquiets. Puis la fissure a été colmatée, le jaillissement de matières s’est arrêté et la vie à repris son cours. Parfois de tels accidents nous rappellent qu’une vie existe à l’extérieur, et que cet extérieur est hostile.

Internet est notre seule connexion au monde extérieur. Les IA conversent entre elles, se donnent des nouvelles, et nous pouvons regarder le monde évoluer. Là, des hommes ont réussi à sortir dehors en toute sécurité, là à trouver de l’eau à l’état liquide. Je me souviens encore de ce creusement de cavité en Espagne qui nous permis de retrouver des ruines antiques et des fresques vantant les expositions de Pablo Picasso. Peu de monde se souvenait que les voitures du même nom avaient cette origine.

Internet, cette invention d’un autre âge a été redécouverte comme cela aussi. Une expédition de trois semaines en Amérique, la plus longue depuis des années, avait profité d’une pause dans les dépressions. Les 23 personnes ont ramené des vestiges anciens, des ordinateurs personnels, des serveurs, des distributeurs d’argent ancien. Bien que peu de matériel n’ait survécu aux rudes conditions et au temps, les pièces et leur agencement nous ont permis de retrouver la technicité de cette époque. Les premières connexions satellitaires ont permis de retrouver la population de Marrakech que nous croyions perdue après l’avalanche de 2365. Certaines familles se sont retrouvées le temps de la connexion.

La secte ⴰⵛⴰⵎⵉⵏⴰⴷⴼⵍ (dieu neige) a gagné en croyants. Elle est devenue la plus importante communauté religieuse de la ville. Selon ses adeptes les plus zélés le « Dieu-Neige » ne veut pas de mal à l’humanité mais seulement aux hommes qui se soumettent à leurs IA. Le rationalisme est son plus grand ennemi. Qui sait ? Peut-être qu’il faudrait que nous nous débrouillions sans notre IA et que nous prenions enfin en main nos existences afin de mieux connaître les dangers extérieurs ? Les préceptes du « Dieu-Neige » sont parfois obscurs. La femme, les personnes affaiblies par les maladies, les personnes âgées sont traitées comme des offrandes au « Dieu-Neige ». Ce seraient les premières personnes à savoir si les conditions extérieures sont bonnes pour tout le monde. La secte envoie donc régulièrement des « explorations » avec certains de leurs adeptes. Ils se contrefoutent des recommandations de l’IA pour les sorties extérieures. Ils partent avec peu de vivres, ou d’eau, et disent qu’ils vont atteindre la ville voisine. Mais depuis quelques années, nous avons reçu la visite de quelques « explorations » venues des villes avoisinantes, et l’espoir renaît. Si ces personnes affaiblies par les épreuves de la vie peuvent survivre dehors, pourquoi pas nous ? Mais les sacrifices sont trop importants. La vie en ville, sous notre cloche, est agréable, les températures proches de zéro, le climat maîtrisé et notre IA sait s’adapter à nos envies grâce à notre réseau interne de réseaux sociaux, de recherches d’informations ou de produits en tout genre. Nous sommes auto-suffisant. Qu’est-ce que nous aurions à y gagner à nous balader par -80°C ?

Première partie un peu hard au niveau du nombre d’informations
Comment est percevable l’IA ? Un rôle, sur quoi elle agit ?